– Jeux de masques

L’ombre, le double et l’âme

Technique mixte sur papier, 10,3 x 14 cm

« Je ne peins pas l’être, je peins le passage. »

– Michel de Montaigne

La série des masques est à part dans le corpus de Daryoush puisque le peintre ne s’est réellement attaché ni au portrait, ni à la peinture de personnages. Pourtant l’on y retrouve tous les thèmes de l’œuvre : dualisme, déracinement, solitude, proximité avec la nature. Ni hommes ni femmes, ni vraiment humains à proprement parler, ces personnages étranges, déqualifiés (c’est-à-dire sans qualités), semblent avoir perdu ou abandonné leur identité. D’où ces visages lisses, sans trait, comme des masques. Masques-visages ou visages-masqués ? Daryoush lecteur de Musil a probablement pensé aux tribulations de son Homme sans qualités, qui prédisait la mort du sujet, en affirmant que « la personnalité ne sera bientôt plus que le point de rencontre imaginaire de l’impersonnel. » Et Ulrich, le héros de cette épopée funeste, de poursuivre : « Aujourd’hui en effet, où tu te crois en pleine possession de toi-même, si tu te demandes qui tu es, en fin de compte, tu découvriras que tu te vois toujours de l’extérieur, comme un objet. Tu t’apercevras qu’une occasion te rend triste et l’autre furieuse, comme ton manteau est tantôt humide, tantôt brûlant. En t’observant, avec toute l’attention possible, tu réussiras tout au plus à aboutir derrière toi, jamais en toi. »

Mystiques sans dieux, ces ombres errantes, ces masques sans visage mais dont le cri intérieur retentit sourdement, nous évoquent les univers angoissants de Munch et de Nolde, deux autres contemporains de Musil, et dont Daryoush n’a jamais renié les influences. Et puis comment ne pas penser à ce « double » folklorique, ce Doppelgänger, cette figure de l’ombre qui a marqué tout le romantisme allemand ? Oui il y a là quelque chose de définitivement romantique dans cette manière d’écarter les effets de lumière et d’éclaircir les ombres. 

Une mélancolie terrible semble saisir ces personnages, torturés comme des tiges qui s’étirent et dont le regard a désormais la froideur de la pierre. Leurs têtes penchées nous renvoient à une ancienne tradition de la peinture de la mélancolie, popularisée par Dürer pendant la renaissance. Plus proche dans l’histoire, on se rappelle le Docteur Gachet peint par Van Gogh en 1890, et qui rapportait dans son Étude sur la Mélancolie (1864) qu’avec la dépression mélancolique : « Le principe vital, qui préside à tout l’être, se tait, et avec lui les organes, les sens, l’esprit, les instincts, les passions, sont frappés de mutisme. L’homme ressemble à un végétal, à une pierre. »

Mystiques sans dieux, ces ombres errantes, ces masques sans visage mais dont le cri intérieur retentit sourdement, nous évoquent les univers angoissants de Munch et de Nolde.

Une mélancolie terrible semble saisir ces personnages, torturés comme des tiges qui s’étirent et dont le regard a désormais la froideur de la pierre.