– Paysages

Le silence de la nature en déluge

Technique mixte sur papier 80 x 80 cm, Collection privée

« L’art ne reproduit pas le visible,
il rend visible »

– Paul Klee

Toute l’évolution artistique de Daryoush culmine dans ses paysages, grands formats à la fois colorés et épurés, éruptifs et sereins, lumineux et mystérieux. Plus que jamais le peintre joue sur l’ambivalence et le dualisme de la nature, puisque ces étendues mystérieuses et irréelles peuvent évoquer à la fois des terrains volcaniques, des îles luxuriantes du pacifique, des paysages de Méditerranée, ou encore des espaces désertiques. Daryoush explore l’univers comme autant d’images qui ne ressemblent à rien de réel, mais qui pourtant expriment le monde dans sa totalité. Et le procédé fonctionne : l’émotion de ces paysages nous rappelle le sentiment de beau qui nous touche quand on découvre une étendue rocheuse, une lande à la campagne pour la toute première fois.

“Le paysage est l’abstraction par laquelle un extrait de la nature en représente la totalité.”

Le ciel et la terre : leurs jeux de miroirs et de collusions expriment le dualisme de l’univers et l’énorme diversité de la nature. C’est au peintre de faire connaître cette totalité en exprimant son essence. Avec Daryoush le paysage n’est plus à prendre au sens traditionnel tel que l’Occident l’a défini, c’est-à-dire en invoquant à chaque fois une sémantique de l’étendue et de la découpe. Il s’agit de détourner le paysage de sa fonction représentative, comme la calligraphie détourne l’écriture. Dès lors le paysage est l’abstraction par laquelle un extrait de la nature en représente la totalité : comme dans la pensée chinoise qui dit « montagnes-eaux » (Shan Shui) pour dire « paysage », le paysage doit être comme la corrélation des opposées, et non plus comme chose offerte à la vue d’un spectateur. Par conséquent le paysage n’est pas une partie d’un tout, il saisit globalement, par la confrontation de ce que les montagnes et les eaux totalisent.

“Le mode de la description topologique, c’est le conditionnel, temps de l’utopie qui fait coexister tous les éléments et tous les futurs possibles.”

Désormais il y a paysage quand la perception se laisse déborder par ce qui est vu. Le regard ne poursuit plus les informations, il se laisse déborder et absorber. Ainsi la nature n’est plus figée, elle foisonne par lignes de tensions continues (oppositions de couleurs, de matières et de lignes). 

Selon le penseur et paysagiste Michel Corajoud, qui n’a jamais cessé de réfléchir aux conditions de transformations et d’émergences des paysages, « le ciel et la terre ne prendraient donc forme et texture qu’aux endroits où la matière de l’un et celle de l’autre seraient mises en émoi par leur proximité. Il serait donc impossible de voir autrement la terre qu’en contact avec le ciel, et creuser pour la voir « seule » serait une illusion puisqu’en creusant on ne fait jamais qu’abaisser le niveau de leur contact. Tout se passe comme s’il y avait, en périphérie de chaque substance, une suractivation particulière, nécessitée par la présence d’une substance étrangère ; ces différents « états-limites » composant l’ensemble du champ de la perception. Par cette agitation de surface, la terre protège son intégrité profonde et amorphe et, laissant la part du ciel, elle tisse avec lui un épiderme commun, le sol, qui prend, pour nous, tous les aspects des phases transitoires de leurs différents états d’équilibre. Masses noires fossilisées, ocres, couleurs minérales et pierreuses, la peinture de Daryoush opère par stratifications, comme pour esquisser l’archéologie d’une histoire mystérieuse, celle de la vie, de la nature, c’est-à-dire de la rencontre du ciel et de la terre.

Masses noires fossilisées, ocres, couleurs minérales et pierreuses, la peinture de Daryoush opère par stratifications, comme pour esquisser l’archéologie d’une histoire mystérieuse.

Dans un paysage, l’unité des parties, leur forme, vaut moins que leur débordement. Un peu plus même qu’une dialectique, on découvre une réconciliation ou une tentative d’équilibre entre les antagonismes, c’est pourquoi le paysage communique si souvent une impression de paix ou de tempérance. On imagine toujours mal la violence des éléments, l’eau qui dissout et érode tout, le vent qui déplace, le froid et le gel qui délitent, la chaleur qui sèche les argiles — bref, l’extrême âpreté des heurts qui nous valent alors les vallées creusées, les ravinements, les fissures. Rares sont les ensembles qui relèveraient du beau tel que l’a défini Kant, parce qu’ils évoquent davantage le sublime — la dynamique des entrelacs, des effondrements et des métamorphoses.»

Le paysage n’est pas une partie d’un tout, il saisit globalement, par la confrontation de ce que les montagnes et les eaux totalisent.

Utopie du paysage : La description, telle que la pratique Daryoush – et par opposition à la description figurative et copiste contre laquelle tout son travail s’érige – c’est la topologie, comprise comme science des profondeurs, des couches et des sous-couches organisées comme amoncellement de possibles en attente, tous placés, sur les modèles de la pensée chinoise et des sciences indéterministes (thermodynamique et physique quantique), sur la même strate sémantique, et toujours potentiellement interactifs. Ainsi le mode de la description topologique, c’est le conditionnel, temps de l’utopie qui fait coexister tous les éléments et tous les futurs possibles ; c’est dans cette intégration du possible que réside la profondeur de champ du conditionnel : parce qu’il crée des paysages nouveaux en faisant varier toutes les combinaisons possibles, il donne à la nature son rythme et sa temporalité. Daryoush aimait dire que le paysage, c’est le lieu où le ciel et la terre se retrouvent, quelque part, dans l’inachevé.

Il y a paysage quand la perception se laisse déborder par ce qui est vu.