– Terre
Lieu des antagonismes

« L’art est une harmonie parallèle à la nature. (…) Le paysage se reflète, s’humanise, se pense en moi. Je l’objective, le projette et le fixe sur ma toile… Peut-être dis-je des sottises, mais il me semble être sa conscience subjective et ma toile sa conscience objective. »
– Paul Cézanne
Au tout début des années 2010, Daryoush poursuit sa réflexion paysagère à travers une série de réflexions sur la Terre, sur le sol, comme lieu des réactions et des contradictions. C’est également la période pendant laquelle il s’intéresse à la calligraphie ainsi qu’à la pensée chinoise, en particulier Shi Tao (1641-1720), dont le travail ainsi que les Propos sur la peinture le marquent durablement, renforçant sa conception dualiste de la nature et affinant sa conception originale du paysage. Ainsi selon Shi Tao « le paysage exprime la forme et l’élan de l’univers. Au sein du paysage, le vent et la pluie, l’obscurité et la clarté constituent l’humeur atmosphérique ; la dispersion ou le groupement, la profondeur et la distance constituent l’organisation schématique ; verticales et horizontales, creux et reliefs constituent le rythme ; ombres et lumière, épaisseur et fluidité constituent la tension spirituelle ; rivières et nuages, dans leur rassemblement ou leur dispersion, constituent le liant ; le contraste des replis et des ressauts constitue l’alternance de l’action et de la retraite ». Dès lors le signifiant en peinture doit être compris comme la tension entre les éléments naturels : Shi Tao veut dire « vague de pierre », ce nom mêle déjà la montagne et l’eau. Il s’agit de faire sentir à la fois « l’universel écoulement » et « l’universel embrasement ».
Également inspirée par des lectures de Lao Tseu et de Confucius, cette période concourt avec une pratique assidue de la calligraphie. Daryoush découvre les idéogrammes et se passionne pour ces signes et les pratiques mythiques de l’unique trait de pinceau. Cette approche mystique de la peinture se traduit par l’obsession toujours plus prenante du paysage, et une approche de l’art pictural en tant que cheminement spirituel : le peintre doit trouver sa liberté dans la contrainte, mais la poésie émerge d’un simple trait de pinceau. Encore une fois, seule la peinture, comme équilibre des forces en rapport, est source de sens, de beauté et donc de paix intérieure.

“Ces ombres dans le ciel ne semblent-elles pas se disperser comme des traits légers teintés de noir, comme de légères touches de pinceau en lignes et en arabesques ?”

“Seule la peinture, comme équilibre des forces en rapport, est source de sens, de beauté et donc de paix intérieure.”
En outre l’on peut identifier de nombreuses marques de calligraphie présentes sur les peintures de cette période. Ainsi ces ombres dans le ciel ne semblent-elles pas se disperser comme des traits légers teintés de noir, comme de légères touches de pinceau en lignes et en arabesques ? Et ces aspérités en pointes formant des sillons terrestres et des pourtours nuageux ? Shi Tao encore : « Si l’un n’est pas clairement saisi, la multiplicité des êtres fait écran. Si l’un est totalement saisi, la multiplicité des êtres révèle son ordre harmonieux. Le principe de la peinture et la technique du pinceau ne sont rien autre que la substance intérieure de l’Univers d’une part, et d’autre part sa beauté extérieure. » Et que dire de ces sols comme jonchés de ceps pointés vers le ciel ? Un nouveau jeu de piste qui traduit encore une fois la nature double de la matière, puisque le cep, couramment le pied de la vigne, désignait également un instrument de torture par entrave des membres à l’époque romaine. Ces paysages inquiétants et familiers à la fois nous rappellent notre fragilité originelle. Par conséquent ces voyages parmi les ombres et les ceps doivent être source d’introspection. Certains d’entre eux nous évoquent encore des figures aux contours flous, comme des ombres errantes, à l’instar de ces personnages mystérieux et solitaires qui peuplent aussi les toiles de Kaspar David Friedrich.